Le 26 juillet 1940, Pie XII confie le diocèse de Tarn-et-Garonne à Pierre-Marie Théas, tandis que le régime de Vichy vient de remplacer la IIIème République. Longtemps loyal au maréchal Pétain, qu’il accueille à Montauban le 6 novembre 1940, Monseigneur Théas entre dans une attitude de résistance spirituelle pendant l’été 1942.
L’année 1942 est une période charnière au cours de laquelle l’antisémitisme du gouvernement de Vichy bascule vers l’horreur. De la privation de certaines libertés, de la spoliation, du recensement, on passe à l’internement en camps sous administration française, véritables antichambres d’Auschwitz et autres lieux de mort.
A la mi-juillet, 13000 juifs étrangers sont raflés à Paris, concentrés au Vélodrome d’Hiver, puis internés au camp de Drancy et dans les camps du Loiret. En zone non occupée, le 26 août, deux jours après le départ du premier convoi transportant 1200 internés vers Drancy, 6600 autres juifs étrangers sont arrêtés à leur domicile et regroupés dans différents camps d’internement.
Choqué par la rafle du 26 août, il écrit une lettre pastorale sur le respect de la personne humaine qui est lue en chaire le dimanche 30 août dans toutes les églises du diocèse, portée aux prêtres par sa secrétaire, Marie-Rose Gineste.
Il suit de peu Mgr Jules-Géraud Saliège, archevêque de Toulouse, qui, dans une lettre pastorale datée du 23 août avait réagi âprement aux événements parisiens. Comme le relève Jean Estèbe : « Les protestations des évêques eurent un retentissement considérable sur l’opinion […] elles sont le facteur décisif d’un véritable virage […] des consciences assoupies se réveillent, des réactions courageuses se produisent, même dans des cercles jusque-là fidèles vis-à-vis du régime. »
La résistance spirituelle : un combat toujours actuel
Le courage exemplaire que Monseigneur Théas et Marie-Rose Gineste ont montré en faveur de la résistance spirituelle au nazisme interpelle aujourd’hui les générations montantes dans l’action qu’elles ont à mener pour construire une mémoire d’avenir, fondée sur le respect de la dignité de la personne, la valeur centrale de la vie, et soucieuse de développement humain. C’est la difficulté à appréhender l’autre et à cerner tout l’autre qui empêche de le reconnaître dans son identité et de l’accepter dans sa différence, comme un frère en humanité.
Dès lors, l’esprit de la résistance, c’est l’esprit de résistance à l’inhumain, chaque fois que les droits de l’homme sont menacés ou bafoués. C’est le sens de la démarche d’éducation à la citoyenneté mise en œuvre dans le travail de mémoire. Car on ne peut faire vivre la citoyenneté que si l’on cherche à perpétuer le lien social, en mettant à l’épreuve au quotidien le sens de l’altérité, la bienveillance du cœur. Cette exigence éducative permet à l’histoire de faire mémoire, c’est-à-dire de réussir la transmission des valeurs humanistes, dès lors qu’elle contribue à accéder à la conscience de la citoyenneté universelle. C’est là que se joue la relation à l’humain dont la densité fait découvrir des raisons de vivre et d’espérer.
On commence à y parvenir en se dépouillant peu à peu de ce qui peut nuire à l’unité personnelle, dans ses dimensions, corporelle, affective et spirituelle, et empêche d’agir plutôt que de subir, d’être plutôt que de paraître ou d’avoir.
La résistance de l’esprit libère ainsi de ce qui encombre l’âme humaine, son message éveille à l’intériorité et ouvre à la transcendance. Il devient une parole vivante qui fait briller en chacun de nous la lumière de la fraternité, porteuse d’un invincible espoir en l’avenir de l’Homme, pour faire vivre l’amour et faire écho au caractère sacré de toute vie.Robert Badinier
Délégué régional Midi-Pyrénées de Mémoire
et Espoirs de la Résistance
En 1894, naissance de Pierre-Marie Théas, à Barzun, Basses-Pyrénées (Pyrénées-Atlantiques).
Pierre-Marie Théas poursuit des études au Séminaire de Nay, de Bayonne, puis à Rome (Séminaire français et université grégorienne).
Il obtient un doctorat en droit canonique. Il est ordonné prêtre en 1920, vicaire dans une paroisse de Pau, puis professeur de théologie au Séminaire de Bayonne. Le 26 juillet 1940, Pie XII lui confie le diocèse de Montauban, peu après le désastre de mai-juin.
La III° République s’effondre et le régime de Vichy s’installe. L’évêque de Montauban, comme nombre de Français, affiche confiance et crédit envers le maréchal Pétain, qu’il accueille le 6 novembre 1940.
Fin 1940, Pierre-Marie Théas assiste dans ses derniers moments, en guide spirituel, Manuel Azana, républicain, président de la République espagnole en 1936, en exil, chassé et traqué par les franquistes.
La politique anti-juive déclarée du gouvernement, les rafles en zone non encore occupée, notamment celle du 26 août 1942, l’orientent de plus en plus vers une attitude critique à l’égard du gouvernement de Vichy puis le poussent à des actes de résistance de plus en plus affichés.
Marie-Rose Gineste, sa secrétaire, aidée de deux amies, apporte la lettre dans les paroisses, à bicyclette.
1944 : Après le débarquement américain sur les côtes normandes le 6 juin 1944, les autorités d’occupation allemandes se radicalisent. Le 9 juin, la Gestapo arrête la plupart des notables de la région : Mgr Rodié, évêque d’Agen, Albert Sarraut, Jean Baylet, résistant et directeur de La Dépêche du Midi, le maire de Toulouse, le préfet d’Agen et Mgr Théas, parmi quatre personnalités de l’Institut Catholique, dont Mgr Bruno de Solages, le recteur. Monseigneur Théas demeure au camp de Compiègne.
En février 1947, Pierre-Marie Théas est nommé évêque du diocèse de Tarbes-Lourdes.
Il meurt à Bétharram le 3 avril 1977.
Naissance de Marie-Rose Gineste à Canals, Tarn-et-Garonne, le 10 août 1911.
Elle travaille à Montauban dans une équipe de La Jeunesse Ouvrière Chrétienne Féminine (JOCF), dont l’aumônier est Monseigneur Gounot, supérieur du Grand Séminaire et futur évêque de Carthage.
1931 : Engagement social-chrétien dans son entreprise.
1940 : Elle s’engage activement dans les mouvements de Résistance après l’appel du 18 juin du Général de Gaulle et devant la détresse des réfugiés lors de l’exode du printemps 1940.
1937 : Elle entre au Secrétariat social de la Maison des Œuvres, 64 faubourg du Moustier, institution très active de réflexion, de lutte contre les idéologies réactionnaires, centre de documentation et de réflexion sur l’attitude et les choix de l’Eglise au cœur de la barbarie.
Elle participe avec passion aux débats idéologiques qui secouent les années qui précèdent la guerre, et aide à la diffusion des grandes encycliques de Pie XI (Non abbiammo bisogno (Nous n’avons pas besoin), critique vive du fascisme et Mit Brennender Sorge (Avec une brûlante inquiétude), dénonçant le nazisme. Elle participe aux Semaines sociales et entre dans le syndicalisme chrétien, la CFTC (Confédération française des Travailleurs chrétiens).
Secrétaire officielle de Monseigneur Théas, elle aide les réfugiés, participe par la réflexion et les débats à l’élaboration d’un esprit de résistance. Elle collecte des renseignements vitaux pour les résistants sur le terrain, porte secours et asile à tous ceux que traque la Gestapo, quelles que soient leurs origines ou leur appartenance politique ou idéologique.
Aidée de Berthe Delmas son assistante, elle accomplit un travail de résistance : diffusion de la presse clandestine (Combat, Témoignage Chrétien), de faux certificats de résidence, de certificats de baptême pour les juifs, de tickets d’alimentation. Elle organise des filières pour le passage en Espagne, camoufle des juifs, des aviateurs parachutés puis de jeunes fuyant le STO.
Elle devient responsable du service social des maquis de la rive gauche de la Garonne.
Le 30 août 1942, elle diffuse, à bicyclette, la lettre de Monseigneur Théas sur « le respect de la personne humaine », avec Angèle Puig et le capitaine Bossu.
19 août 1944 : libération du département. Marie-Rose Gineste devient membre du Comité départemental de Libération et aussi jury à la Cour de Justice.
Ses valeurs chrétiennes et son esprit de tolérance, comme ses qualités de conciliation et de négociation, seront un précieux atout pour ces institutions durant cette période de transition et, parfois, de règlements de compte.
Après la guerre, l’engagement politique, au MRP (parti démocrate-chrétien), social et syndical à la CFTC, de Marie-Rose Gineste se poursuit dans divers mandats municipaux.
En 2005, au mémorial de Yad Vashem, à Jérusalem, un olivier est planté qui rappelle la mémoire de Marie-Rose Gineste, artisan de paix et « Juste parmi les Nations ». La légendaire bicyclette qui transporta en août 1942 la lettre de Monseigneur Théas se trouve aussi dans le mémorial.
29 août 2010 : Elle meurt à 99 ans.